Quand la diplomatie américaine est fourbue, épuisée, dégoûtée, un recours au Japon: le Manga!
USA-kun*
"Quand bien même le Japon doit sa liberté d'agir dans le camp occidental grâce aux forces armées américaines implantées depuis plus de 60 ans sur l'archipel devenu un porte avion des Etats-Unis en Asie, les insulaires sont facilement tentés par les démons de la critique".
Mon interlocuteur tente de rester mesuré et prudent pendant l'interview. Comme beaucoup de japonais qui travaillent sur Okinawa, il pèse ses mots aussitôt que l'on parle des forces armées US expédiées au Japon, mais contrairement aux années 80 ou 90, lui comme d'autres ne cachent pas leur ressentiment face aux militaires américains qui, dit-il, se servent du Japon comme d'un terrain de jeu.
"Ils ne parlent pas notre langue, restent cantonnés dans leurs bases, et quand ils en sortent, ils explosent, alors j'ai envoyé mes filles au collège sur Kyushu, la grande fait une université de Tokyo, j'avais peur de la voir massacrée comme après le viol de la gosse en 1995."
Les japonais sont devenus aujourd'hui très avares en formules de remerciements (Les célébrations de Hiroshima ne sont pas loin) vis à vis de ceux qu'ils considèrent comme des envahisseurs encombrants et violents, des "fauteurs de troubles" alors que le contexte des relations entre les pays voisins s'est apaisé, avec Chine et Russie, et d'autant que les échanges économiques et touristiques font flores entre ces rives boostés par la croissance insolente de l'océan Pacifique et des mers de Chine. Les touristes et leurs charters remplacent les uniformes et les armes avec des caméras, du Yuan et du Yen.
Sauf pour une batterie de Tartarins de Tarascon locaux qui activent à tue-tête leurs intenses machines de guerres et leur lobby industriel du même type, car tous les voisins ne sont pas aussi calmes me dit-on dans un cabinet ministériel. Mention: la Corée du Nord qui arrange plus d'un stratège.
Manifestations anti-bases
Rejet
Fait établi, l'armée américaine est rejetée en masse depuis des décennies par l'opinion publique en raison d'agressions criminelles à répétition commises par les "Marines" sur l'île méridionale japonaise de Okinawa (assassinats, viols, vols hantent les îles du sud du Japon).
Manga, Arme Suprême
Les opérateurs des départements de propagande ont donc tenté, avec l'aide des médias japonais, de séduire le public de l'archipel cet Eté avec une nouvelle opération de sensibilisation sous la forme d'un MANGA intitulé: "Notre Alliance, un partenariat durable!" http://www.usfj.mil/manga/
Dans la première édition, un petit lapin bien coquin aux grandes oreilles nommé Usa-kun recommande à un cafard d'enseigner à son ami japonais Arai Anzu quels sont les avantages d'avoir 35.500 et quelques militaires stationnés dans votre jardin japonais...
Les japonais avaient fait pareil il y a déja plusieurs années sur le mode "engagez vous - rengagez vous". Le MOD (ministère japonais de la défense) distribue fréquemment des petits cadeaux résultant du merchandising "kawaii-cool" aux journalistes "embedded."
Kokousai Dori, Okinawa
"Difficile de justifier une occupation militaire déguisée en assistance militaire" me disent quelques habitants de la capitale de Naha, Okinawa sur Kokousai Dori. Le quartier chaud, enfait restaurants, bars, magasins et disco bien calmes, ne vit plus aujourd'hui du commerce des bases mais bien des cars de touristes qui remplacent les "Boys": "Ils ne sortent même plus de leur base sauf quand ils sont saouls" " "Notre seul recours économique ce sont les touristes de Taiwan et ceux de Tokyo Osaka." En voila une qui ne s'embarrasse pas de complications géopolitiques!
On n'est pas certain que Usa-kun puisse logiquement expliquer pourquoi la présence des militaires américains doit être pris avec compréhension par une opinion publique très "remontée".
Cette présence militaire américaine au Japon est inscrite noir sur blanc dans le cadre d'une alliance militaire imposée aux lendemains de la défaite japonaise de 1945. Alliance dont les fondamentaux sont aujourd'hui critiqués ou manipulés selon le calendrier politique par bon nombre de politiciens japonais. L'opinion publique hésite à en parler aussi ouvertement et aussi librement que les jeunes générations de japonais assez délurés, enfin... lorsqu'ils s'y intéressent.
Du Manga aux manœuvres politiciennes
Ce débat est en revanche un enjeu dans la bataille politique, que ce soit pour la prochaine élection de l'assemblée électorale de Nago, centre de Okinawa, et pour la conquête du pouvoir national à laquelle se lancent actuellement les 2 grands chefs du PDJ, le parti majoritaire, avec messieurs Naoto Kan et Ichiro Ozawa, lors de la convention de Septembre du parti au pouvoir. Cette convention devra désigner le chef de sa formation, celle-ci majoritaire à la Chambre Basse du parlement, pour le poste de premier ministre.
Les médias japonais et anglo-saxons soutiennent invariablement la candidature de Kan contre Ozawa. L'influence des clubs de presse dans un cas, des alliances de l'autre. Des médias très critiques comme on a pu le lire avec la prise de position du Financial Times contre Ozawa donnant du FT la piètre allure d'un quotidien ayant oublié ses quelques devoirs d'impartialité.
Ozawa est dubitatif sur l'efficacité de la présence américaine, bien plus que l'actuel premier ministre, Naoto Kan. Or ce dernier parvenu au "Kantei" (les bureaux du chef du gouvernement) ne veut pas se fâcher avec l'Oncle Sam quitte à rogner une fois encore sur le programme de son parti et en outre sur ses engagements personnels pacifistes d'antan. Kan est le 5e premier ministre en 4 ans. Le mois prochain, ce sera un 6e premier ministre...
Kan a vu et analysé comment son prédécesseur Hatoyama s'est fait éjecter de son siège après un bras de fer diplomatique entre Tokyo et Washington sur la question ancienne du transfert d'une base aérienne américaine hors du centre de l'île de Okinawa, l'île favorite des touristes et des jeunes japonais. Des jeunes qui passent leurs vacances aussi bien à Séoul qu'à Shanghai et qui ne comprennent pas les motifs de cette présence militaire, de type Guerre Froide d'une autre époque, en tout cas pas de leur époque.
Okinawa, aux habitants abandonnés depuis des lustres par le gouvernement central de Tokyo, et condamnée aux présences militaires, reprend du poil de la bête, l'île redevient un enjeu politique local d'autant que le Japon a révisé sa doctrine en déplaçant le centre de gravité du "risque" qui est azimuté désormais sur les Mers Jaune et de Chine. Okinawa et ses îles sont devenus l'endroit idéal pour amarrer les prochaines escarmouches.
Hélicoptère des JASDF - Forces d'Auto-Défense Japonaises
Dans ce contexte orageux, le Manga "Usa-kun" a-t-il de forte chance de convaincre ou de passer par profits et pertes? L'avenir proche le dira. Il y a 15 ans une firme française du nucléaire avait également recouru aux bandes dessinées pour justifier la non létalité du plutonium, une BD illustrée par un petit personnage surnommé: "PU" qui avalait, glouton, du plutonium "sans le moindre danger", ce qui avait fait sursauter bon nombre d'observateurs!
La Parano de l'invasion et des routes maritimes
Okinawa et ses environs se préparent au pire, le renforcement de son rôle de place forte militaire, malgré l'opposition culturelle et politique des insulaires et de leurs élus. Illustration: c'est dans la région de Okinawa, dans les îles Nansei (ou îles Ryukyu qui s'étendent de l'île japonaise de Kyushu à Taiwan sur plus de 1.000 kilomètres) que les îles vont fourmiller de japonais et d'américains en Décembre prochain, pour un exercice militaire dores et déja controversé avec hélicos, navires de guerre et avions de combat. Ces manœuvres auront lieu dans le cadre d'un exercice de l'US Navy et du Japon, et de ses forces armées maritimes et aériennes (il n'y a plus un mois désormais sans exercice militaire US, Chinois, Japonais, Coréen! La Chine ces-jours-ci).
Un chapelet d'îles
Un exercice visant à simuler ce qui se passerait dans le cas où une nation hostile tenterait de mettre pied sur une des nombreuses îles japonaises! Un D-Day version Orient-Extrême? Il faut bien entraîner les "boys" et faire tourner les usines, payer les soldats...
Imaginons sans la nommer de quelle grande nation asiatique il pourrait s'agir? Celle qui célèbre son 6e Forum ces jours-ci à Tokyo http://bit.ly/aib74m avec les plus hauts dirigeants politiques chinois et japonais sur le thème "L'Avenir de L'Asie, la contribution du Japon et de la Chine"? Est-ce dans ce genre de Forum que les projets d'avenir sont mis en -grande- marche? Ou faut-il au contraire y voir une ironie suprême et méditer le proverbe chinois: "S'allier avec l'éloigné pour mieux attaquer le proche"?
Mais dans ce carrefour des océans guère pacifiques transformés en labyrinthe politique, diplomatique et militaire, qui est le proche, qui est l'éloigné... aujourd'hui?
En reportage avec les JASDF - Okinawa
* Le suffixe "kun" en japonais, place après le nom de famille, est utilisé pour parler à un garçon plus jeune ou du même âge que nous-même, jamais utilisé entre deux femmes, et pas le signe d’une grande affection. Un ton emprunt de condescendance.
Sources: Reporter's Notes, JSDF, Okinawa City Information, Usfj Mil, Xinhuanet, Kyodo, UPI.