Japon: "Mythe des lendemains qui chantent"
"The Myth of Tomorrow"
Painting by Taro Okamoto
Des pans entiers des 160 milliards d'euros du plan de relance japonais sont dores et déjà offerts généreusement au "ゼネコンZenecon", les "General Contractors"du BTP japonais qui utilise de la main d'oeuvre corvéable et malléable, proche parfois des organisations mafieuses. Elles aussi très bien encadrées et infiltrées dans les zones grises au coeur du pouvoir japonais.
Ce "mythe des lendemains qui chantent", les agences de communication habituellement utilisées par le gouvernement japonais (Dentsu par exemple) l'ont mis en marche par une mise en scène en 2011 à la demande des conservateurs du PLD alors en opposition sur le thème du "comment financer durant 30 ans la reconstruction du Tohoku" suite au terrible séisme, tsunami et accident nucléaire de 2011? Ces stratégies anesthésiantes sont des exemples du rêve éveillé que font les japonais devant leurs télévisions qui nous livrent un paysage prétendu d'un Japon heureux. Mais on ne montre que des reportages de gens bien installés, de jeunes enjoués, de filles appétissantes croquant la vie, de projets technologiques, de gens partant en vacances. Alors que le Japon est déformé, souffre et vieillit sans s'occuper du 3e âge et des jeunes, et repoussant en d'autres sessions parlementaires des décisions pourtant jugées importantes.
J'étais impressionné de voir l'autre jour les miroirs déformants et autres symboles de l'histoire naturelle et sociale du Japon qui sont présentés dans le nouveau musée de l'Université de Tokyo au 2e et 3e étage du magnifique immeuble de la JP Post devant la gare-hotel de Tokyo. Des découvertes bienveillantes et des outils industriels datant de la colonisation et des découvertes d'après Meiji aux mains de dirigeants nationalistes d'un Japon qui n'a toujours pas travaillé en 2013 sur son devoir de mémoire, bien au contraire puisque des tests politiques de nationalistes comme le maire d'Osaka Hashimoto cherchent à faire naitre en l'esprit nippon une logique de révisionnisme et de non implication dans les horreurs de la guerre d'invasion des années 30 et 40, au lieu d'infléchir ces politiques qui sont reprochées bien au delà des frontières maritimes japonaises. Camus déjà parlait du Japon dans un livre dans lequel il fait dire à l'un de ses personnages que le Japon est un pays merveilleux où les gens meurent fous mais heureux.
Mais comme les observations de bien des français en Asie ne comptent hélas pas beaucoup dorénavant, je porte ici les déclarations acides de mes collègues de la presse allemande. Pour 2 ou 3 des grandes plumes de la presse quotidienne allemande (la presse allemande a de nombreux bureaux de journalistes correspondants de la Germanophonie ici), et bien cette politique Abenomics ne portera pas ses fruits. Le Japon devra choisir. La stabilité et la défense d'un modèle social cohérent ou bien des réformes drastiques qui vont éclater le modèle "harmonieux" japonais. La traduction qu'en fait un diplomate japonais de mes amis: "en réalité cette harmonie est basée sur le sacrifice des japonais, aujourd'hui comme durant la guerre." On aimerait tant croire les mythes du Premier ministre qui réinvente la réalité économique d'un Japon qu'il dit être "de retour" alors qu'en fait Shinzo Abe, et son équipe qui n'a nulle confiance en ses hauts fonctionnaires, recours à des stratagèmes d'antan: la planche à billets.
L'avenir du Japon c'est la Chine et une interaction intelligente en Asie Pacifique, allant bien au-delà des échanges commerciaux. La Chine a d'immenses demandes technologiques, éducatives, législatives, sociales. La modernisation de la Chine, celle des pays riches d'une Asie accompagnée par la Russie de plus en plus puissante est un thème de réflexion en ce 21e siècle pour les dirigeants japonais qui rêvent en secret de modifier les codes de l'alliance bâtie après guerre (1945). Une analyse qu'un officiel d'un grand ministère japonais m'a ainsi confirmé cette semaine en privé.
Combien de temps faudra-t-il à monsieur Abe pour l'admettre publiquement ou du moins pour mettre en marche les projets qui pourront devenir réalité d'ici 2020 - 2030? Les révolutions technologiques, communications, industrielles, énergétiques, mondialisées, les passerelles du développement entrant dans la logique des grands ensembles économiques vont-elles faire leur entrée au Japon comme elles semblent le faire ailleurs?
Le cauchemar serait que Shinzo Abe constatant son échec économique abandonne d'ici 2 ou 3 ans ses ambitions de politicien japonais et au final ne réalise qu'une chose selon l'agenda politique courte-vue décidé outre-mer avec la modification de la Constitution pacifiste japonaise et l'entrée dans l'ère hasardeuse des politiques de défenses collectives du Japon dont l'absence est vue aujourd'hui même par les faucons américains comme "un obstacle à l'alliance militaire."
On peut commencer à esquisser les pires scénarios. Un Japon qui compte moins ou peu car les grandes décisions sont prises ailleurs, comme toujours, et sont entretenues par la litanie de quelques diplomates, universitaires, voire par des désinformateurs patentés. Abe croit en un Japon prêt au sacrifice? Non! La jeune génération ne suivra pas et les autres sont trop vieux pour se bousculer au portillon, ils entendent encore les cris de douleurs de leurs victimes chinoises, coréennes, philippines ou indochinoises.