L'homme qui dit non aux bases américaines, Susumu Inamine, maire d'Okinawa
Susumu Inamine
Des «intérêts politiques» japonais plutôt que les pressions des Etats-Unis sur le Japon. Telles seraient les causes du transfert de la base américaine de Futenma vers le village de Nago. Invité du «press club» de Tokyo le maire du petit village côtier de Nago sur l'île d'Okinawa 沖縄本島, Monsieur Susumu Inamine, a ainsi décrit la politique musclée exercée par le gouvernement de Shinzo Abe.
Il s'agit du transfert de cette base, avec à la clé une piste d'atterrissage pour les US Marines dans la baie de Henoko (sea based military facility). Survolons le dossier rapidement tant il est complexe, en suspens depuis des années et intervient alors que le gouvernement Shinzo Abe fait le forcing sur les questions de sécurité en mer de Chine et a réussi l’exploit de se faire déclarer «persona non grata» à Pékin et Seoul.
Inamine a tout d’abord expliqué que dans l’accord de sécurité nippo-américain d'après guerre portant sur les implantations des bases américaines, il est stipulé que le Japon doit abriter ces bases. Or il apparaît que les préfectures japonaises ont toujours refusé de recevoir les bases US. Le gouvernement de Tokyo a donc contraint les habitants d'Okinawa à l'accueil indésirable de la quasi totalité de la soldatesque US. Rejetés et considérés comme dangereux par les jeunes habitantes d'Okinawa qui ont eu à souffrir de cas de viols, les personnels militaires américains sont mal vus et Okinawa demande leur départ. A 2000 km de Okinawa le gouvernement de Tokyo rejette ces critiques d'un revers de la main.
Le Japon, traditionnellement prudent face aux inconnus, et qui s'est isolé durant des siècles (Sakoku-rei, 鎖国令), a en outre hérité de ses traditions séculaires avec ce refus des étrangers dans leurs villages. Une pratique datant des temps anciens dans les «mura», les villages, avec des pierres qui délimitaient et interdisaient l’accès au village et aux provisions alimentaires. Il y a des siècles de cela. Motif, la famine qui décimait les campagnes et les vallées japonaises.
J'ai parlé de tout cela sur les antennes françaises à plusieurs reprises ces années passées, mais il faut sans cesse rappeler que Okinawa, royaume des Ryukyu a été pris d’assaut par les seigneurs féodaux du Kyushu, le clan Shimazu en 1609, alors que le royaume était vassal des empereurs de Chine. Depuis, Okinawa a été méprisé par les japonais des grandes iles (Kyushu, Honshu) après la révolution Meiji, lors de la modernisation du Japon au 19e siècle, ensuite meurtri durant la guerre du Pacifique par l'armée impériale, puis sacrifié par les combats de la prise d'Okinawa avec des populations prises entre les feux nippons et alliés. Enfin, Okinawa se considère otage des gouvernement japonais successifs et demeure très mal considéré en 2014.
Ici chacun connait cette triste histoire. Pas de désir d'indépendance mais seulement l'espoir de réduire la pression imposée par la présence militaire américaine. Les Américains venus assurer la protection du Japon sont ils mal compris des habitants d'Okinawa eux-mêmes mal compris des japonais? Okinawa, Hokkaido, les ségrégations internes au système japonais, les familles d'anciens esclaves coréens et chinois, les bonnes à tout faire Philippines et l’implication des mafias locales dans de juteux contrats. Le Japon a son compte de dossiers "xénophobes", de discrimination et de pressions culturelles non réglés à ce jour.
Mais en réalité, y aurait il essentiellement sur Okinawa des intérêts propres aux politiciens japonais, des connivences sans scrupules avec des intérêts proches du BTP (les Zenecon), entre politiciens et bétonneurs nippons, le marché de la construction, du tourisme, des infrastructures, le tout au mépris des questions stratégiques dont on nous abreuve dans les médias japonais? O combien classique.
Inamine a aussi parlé de pots de vin et de la corruption pour acheter les autorités locales, et de l’interprétation des accords politiques et de la constitution par les faucons du PLD. Tout un programme.
Prêts à profiter de cette radicalisation japonaise qui commence à inquiéter le partenaire américain, les marchands en tous genres, les entrepreneurs Japonais naturellement et les Taïwanais sont les plus heureux sur Okinawa comme le sont sur tout le territoire les Américains, Britanniques, Italiens, Allemands, ou Canadiens, c’est rentable pour eux. Ils obtiennent des contrats et nourrissent leur industrie, bien davantage que... les Français qui s’acharnent à maintenir au Japon une présence d’expatriés très coûteuse pour leur siège parisien ou l’Etat, sans être toujours capable de remporter le moindre contrat dans ce package délicat, en particulier pour les contrats liés aux armements et aux infrastructures publiques sauf cas exceptionnel. Motif, ils n’ont pas encore compris que le Japon se tourne d’abord vers ses partenaires anglo-saxons, ensuite vers les alliés de longue date de Washington. Non négociable. Les japonais admirent la France mais l'aiment ils?
Pour Okinawa et le maire Inamine, le plan gouvernemental de construction de la base des US Marines sur Nago Henoko impliquerait la destruction d'un paradis écologique et va saper les valeurs démocratiques. «S’ils essaient de forcer la construction à Okinawa, ils vont alors inviter les critiques du monde entier» a conclu Inamine.
Il faudra faire un sérieux examen des intentions militaristes du premier ministre Shinzo Abe, fermement décidé à une nouvelle re-interprétation de la constitution japonaise pour faire avancer ses politiques dites "d'auto défense collective" qui réjouissent les marchands de canon de tous poils, japonais et étrangers et attisent les ambitions nostalgiques des japonais de l'extrême droite qui ont soutenu notamment le candidat Tamogami aux élections du gouverneur de Tokyo et angoissent les populations de tout le nord-est de l’Asie.
Shinzo Abe devra s'attaquer au dossier d'Okinawa, et régler la situation délicate de Nago et de son maire très déterminé, avant la visite du président Obama ce printemps. Le pourra-t-il?