Tuesday, August 28, 2012



Une étincelle pour que l'Asie explose ?





(3e partie de l'article: "Avis de tempête nationaliste en mer de Chine")

Le Japon est souvent accusé de pratiquer le grand écart diplomatique, une indépendance de façade contrôlée par Washington qui dispose de 50.000 soldats sur l'archipel. Pourquoi? Pour protéger les japonais d'eux mêmes? De leurs démons xénophobes et de leurs organisations politiques aussi secrètes que sectaires? Ou davantage pour asseoir la puissance américaine en Asie Pacifique, zone de fort développement économique depuis 25 ans? Le tout peut-être. Quel avenir immédiat en Asie de l'Est?

 Je vois des classes moyennes qui ont été créées pour soutenir le développement, elles attendent beaucoup de leurs États, sur le plan matériel. La crise est passée par ici. Certains parlent au Japon, société disciplinée, militarisée, d'un syndrome culturel du "Coup d'Etat" mais est-ce vraiment sérieux? Au XXIe siècle, celui de l'Asie Pacifique?


30, 40 millions de morts durant la colonisation asiatique provoqués par le Japon et la guerre? Un Japon sur les genoux, un peuple aplati devant ses généraux extrémistes divaguant sur la divinité de la race nippone. On les retrouve en 2012 dans les rues de Tokyo, pas grave, mais aussi dans des enceintes politiques, inquiétant. Le langage adopté par ces politiciens est vulgaire, raciste, ignorant du monde extérieur. Coup d'État. On peut y songer en écoutant des ténors populistes nippons. Il y a danger en effet quand on lit les déclarations politiques du puissant et populaire gouverneur de Tokyo M. Ishihara, de son clone d'Osaka M. Hashimoto, ou d'Abe Shinzo.


J'ai vu ce dernier communiant avec les foules recueillies au sanctuaire Yasukuni le 15 août dernier appelant au sursaut. La revanche ? Ils sont incompris outre-mer, et ici perçu tout au plus par des nostalgiques qui s'expriment sur des fora négationnistes d'Internet.


Négationnisme, racisme, nationalisme, francs-tireurs de la race supérieure, on en décline de drôles et de toutes les couleurs dans chaque nation d'Asie, vociférées par des populistes. La Chine renoue avec ses "violences de masse" irrespectueuse des symboles et des statuts diplomatiques si j'en crois l'épisode survenu dimanche à l'ambassadeur du Japon monsieur Niwa qui a été malmené en Chine alors qu'il se rendait à son ambassade. Des cauchemars d'une autre époque.


Dans ce cadre, les officiels Japonais et les intellectuels de l'archipel ont bien du mal à réfléchir et à communiquer leurs idées sur le devenir de leur pays et plus encore de l'Asie de l'Est, à convaincre leurs concitoyens de créer une zone de paix ouverte et propice au développement régional, et de leur offrir une vision faite de destin commun et d'espoir à l'image des grands bâtisseurs historiques. Suivant les factions, pro US anti-us, pro Chine anti-chine, pro EU anti EU, chacun au Japon s'y exprime parfois dans la cacophonie. L'émotion, la colère, remplacent souvent l'efficacité et la logique d'une formule assassine terrassant l'adversaire.


Ainsi pour beaucoup de ces nationalistes et néo-conservateurs au Japon, en Chine et en Corée du Sud, il suffit de moquer le bon sens et les traités datant de la dernière guerre pour imposer leurs vues radicales. Mal préparée, la bureaucratie des trois pays essaie de contenir colères et frustrations exprimées par les nationalistes. Une impression de " Déjà vu". Les litiges territoriaux ont pesé lourdement sur les guerres d'invasion du XIXe et XXe siècle. Or, je lis que de nouvelles visites interdites sont programmées prochainement par des contestataires chinois de Hong-Kong et Taiwan sur les Senkaku-Diaoyu. Que feront les "Japan Coast Guard"? Ils ont la réputation d'être adeptes des escarmouches violentes comme on l'a vu récemment avec les vedettes nord-coréennes coulées à pic. Le Parlement nippon se met en marche, il est en train de ficeler pour cet automne de nouvelles conditions d'interventions musclées par les JCG dans les eaux territoriales.


Devant cette éventualité qui risque de leur échapper, les américains s'affolent et communiquent dans le dos des japonais: "Il faut continuer les relations sur une base économique et commerciale", signer les accords de libre-échange (FTA) en Asie du nord-est, c'est la musique jouée par les diplomates américains que les médias américains et la presse économique mettent en musique: "It is often suggested that trade plays an important role in mitigating conflict and there is considerable evidence to support this idea. However, although Asian nations are trading more, they are also bolstering their military capacities and quietly preparing for the worst" écrit dans le quotidien en langue anglaise "Japan Times" un commentateur basé à Taiwan, Bryan Harris. Le commerce comme régulateur des conflits, pourquoi pas?


Vue de l'extérieur, la Grande Muraille d'Asie parait donc bien sourde. N'y a t il pas de futur collectif identifiable? L'Asie est-elle otage de ses idées ancrées au siècle dernier? Au point de ne pas savoir clairement définir son futur? L'Asie doit-elle repasser devant la Cour Internationale de Justice pour redéfinir ses frontières terrestres et maritimes? Faut-il signer un "avenant" au Traité de San Francisco?


Quelle valeur commune Asiatique?

C'est tout le drame de la grammaire d'ici. Pas de futur défini dans les langues d'Asie, les verbes ne se conjuguent pas en chinois et en japonais. On n'ajoute qu'un petit suffixe. Cela signifie-t-il, comme je le soulignais au tout début de ce commentaire, une absence de vision future et de valeur commune Asiatique sauf si elle est accordée, et par qui?


Peut-être que l'on ne parle pas du même monde et de la même vision entre Occident et Orient Extrême. La globalité est l'évidence mais on n'y répond pas de la même manière suivant qu'on l'écrit par des lettres dans le monde occidental ou par des idéogrammes dans le monde chinois. "L'évidence conceptuelle de l'analyse comme mode unique d'appréhension du réel grâce aux mots écrits" mais qu'en est-il lorsque l'on dessine des idées? L'univers entier n'est pas structuré comme un langage, Reeves avait peut-être tort, car en Chine, au Japon et en Corée, on peint des "dessins d'idées" par organisation successive. Lente et complexe évolution. Je le vois jour après jour depuis ma colline surplombant la baie de Tokyo.


Des signes en commun? Oui: L'esthétique, le riz, l'eau des grands fleuves et des océans, l'harmonie 調和, le bonheur 幸福 existent pourtant comme valeur et traits majeurs de ces cultures reflétées par ces idéogrammes partagés par tous ces pays d'Asie du Nord-Est. L'idéogramme, une "peinture de l'esprit" qui est commune et influencée par la culture millénaire de Chine. Dans l'épisode à répétition des Senkaku Diaoyu et Takeshima Dokdo on cherche la définition des souverainetés, sur quelle mode? Et quelle paix sera trouvée sinon une paix précaire car sans mécanisme pour les y contraindre?


"La beauté est dans l'oeil de celui qui la regarde" dit le proverbe chinois. Le changement de mandat, diriger pour le "bien-être de tous", ce sont des valeurs asiatiques de commandement très à l'ordre du jour. Vision de développement et déclaration esthétique. Les Asiatiques sont des candidats au bien-être mais lequel? Matériel et clinquant, contemplatif ou intellectuel, éternels amoureux de l'éphémère et ne souffrant d'aucun "mal des passions?"


La Chine semble reprendre la place dominante qu'elle occupait depuis des siècles et  répond présent pour exercer son leadership régional face au Japon politiquement diminué. Un Japon qui est résolument ancré dans un système d'après guerre froide sans avoir su ou pu inventer autre chose. Pourtant l'histoire démontre que le Japon a des capacités d'interventions et de résistances extrêmes, "the spirit of resilience" dont les populations japonaises ont fait preuve devant la planète depuis les trois catastrophes du Tohoku du 11 mars 2011. Résistant en cas de défi, le Japon est démotivé le reste du temps, en particulier sa jeunesse peu encline aux efforts et aux innovations qui gênent des habitudes d'enfants égoïstes et gâtés par l'argent facile. Le Japon des Otaku d'Akihabara, des parties fines de Waseda, Shonan ou Azabu... Le Japon croyez- moi est si riche.


Un Japon Saturnien

C'est tout le malaise présent d'un Japon 2012 que je décrirais comme un archipel morose, sombre, aigri, trop dépendant des autres: autorité parentale, hiérarchie, séniorité au bureau, irresponsabilité, inégalité des sexes, un Japon projeté dans son "impermanence" depuis le 11 mars 2011, auquel s'ajoute le syndrome du laisser-faire et du retranchement, sans grande capacité de défense (exemple avec le traité de sécurité militaire Japon Etats-Unis qui évite aux japonais de penser en terme de sécurité).


Bref le Japon est devenu "Saturnien". Dans ces conditions, Les japonais sont-ils capables de s'affirmer démocratiquement et de débattre, eux qui ne votent plus, ne rêvent plus en commun, ne font plus d'enfants, mais accordent entre deux SMS sur un quai de métro, leur suffrage politique aux plus bruyants des nationalistes vieillis et aigris par les crises de modèle de société qu'ils n'ont pas su circonvenir?


67 ans après la reddition du Japon marquant la fin de la guerre du Pacifique, dans cet été surchauffé, la paix en Asie n'est toujours pas ancrée dans les esprits mais le Japon a-t-il essayé de se faire aimer par ses voisins? La réponse est non! "Shouganai" しょうがない! Mais à sa décharge, il est bien difficile de percevoir les sons de la langue chinoise. Alors la plus grande valeur commune à mettre en place, puisque toutes langues d'Asie optent pour la souplesse sémantique, serait-elle de commencer à concevoir et produire "pour le profit de tous." En ce lieu, ces grands pays d'Asie s'y retrouveront.


La preuve? L'ancien Premier ministre Yukio Hatoyama a voulu créer une communauté Asie de l'Est, il est peut-être le seul Japonais qui a su comment surmonter le nationalisme dans un monde multipolaire. Et qui a accepté de lui répondre en écho quasiment aux mêmes dates? Wen Jiabao! Au Sommet Chine Europe de Prague le 20 Mai 2009, le Premier ministre chinois déclarait fermement:  "La Chine ne sera jamais puissance hégémonique." Hégémonique non, mais le centre du monde? Qui sait ce dont rêvent les dirigeants de Pékin?


Il est évident que les Etats-Unis ont sanctionné immédiatement Hatoyama. Ils ne laisseront pas passer devant eux le train de la formidable croissance des économies asiatiques et chercheront à marquer de leurs empreintes les futurs accords, pactes, traités militaires et décisions économiques du Japon avec ses voisins. Il faut dire que le terrain est libre...

Intrinsèquement, une telle stratégie va à l'encontre des intérêts des géants d'Asie selon la formule qui seule peut alors les réunir: "Economie oui. Politique non." Dorénavant Tokyo ainsi que les autres capitales asiatiques devront faire preuve de beaucoup d'imagination souveraine, de volonté, et d'équidistance géopolitique si elles veulent croître pacifiquement avec la Chine. C'est un grand siècle mouvementé qui démarre et qu'il convient de suivre de très près car la région asiatique c'est aujourd'hui le moteur économique et industriel qui tire la croissance mondiale et pour longtemps.




Épilogue

L'Asie c'est loin même au siècle d'Internet! Les informations en mettent du temps à faire le voyage chez les "experts" occidentaux. Les images fanées, stéréotypées, officielles et pas de première fraîcheur colportées sur l'Asie par les acteurs dont on serait en droit d'attendre davantage... démontrent une fois encore l'importance d'avoir sur place aujourd'hui des observateurs attentifs, médias, scientifiques, entrepreneurs, et un peu moins de cette cavalerie diplomatico-administrative coûteuse et obséquieuse.

 Il serait utile de faire jouer les partenariats. Je me souviens comment ma chaîne de radio française m'avait envoyé en Asie au sein des radiotélévisions nationales et internationales grâce à une initiative que j'avais portée devant la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (sous le président François Mitterrand) j'étais vraiment très jeune, on m'avait encouragé, aidé et recommandé en haut lieu au sein de Radio France. J'ai alors travaillé avec les chaînes radiotélévisions asiatiques nationales sur place et dans le même temps ma chaîne française m'employait comme correspondant.


Laboratoire intelligent, une gestion partagée, et une expérience de travail en partenariat qui était très formatrice. J'ai effectué très tôt une plongée en eau profonde avec pour arme une expérience journalistique encore fraîche mais avec l'objectif de faire une étude de l'Asie intellectuelle et pratique, dans un cadre de travail, une salle de rédaction, pour observer l'Asie Orientale qui pèserait de plus en plus sur les décisions du monde. Analyse qui s'est avérée exacte.


Le constat est clair: il faut parler de l'Asie au quotidien, l'économique, l'information et le développement scientifique, les faits de société, motiver les consciences et s'en inspirer. Mais ce qui me semble le plus important est de savoir imposer une hiérarchie de l'information qui sera bien maîtrisée pour ce qui vient d'Asie et ce qui vient de France. Maîtrisée ne signifie pas mentir par des informations tapageuses et vulgaires, mais signifie que l'on maîtrise ses dossiers.


Les grandes puissances économiques d'ici, Chine, Corée, Japon la 3e puissance mondiale qui se dit toujours en crise, pourtant 1 $ = 78 Yen, le $ n'est plus que la moitié de la valeur face au Yen que j'ai connu en arrivant en Asie, donc "la crise" est elle une sublime plaisanterie de banquier facétieux, ou bien est ce le Japon qui démontre son absence d'ego pour désarçonner l'adversaire:  "Une crise du Japon que j'ai lue mais que je n'ai pas vue" disait un ministre français du commerce extérieur qui avait tout compris lors d'un déplacement au Japon.


Connaître les motivations, les rêves, les prises de décisions stratégiques des gens avec qui l'on veut travailler, pourquoi pas? Cela ne se comprend pas en lisant un Twitt. Pas inutile alors d'imaginer demain d'autres horizons, j'ai mon idée sur cela, et de réaliser de nouveaux partenariats transcontinentaux; les faire fructifier, bénéfices mutuels; mais aussi afin d'animer et pour longtemps, comme le disait un célèbre stratège américain* : " a fruitful diplomacy".


* Henry Kissinger interrogé au Nihon Kisha Club de Tokyo sur les attentats du WTC 9/11. 

A Lire :

- "Le nouveau monde sinisé" Paris, PUF, 1986 par Léon Vandermeersch.

- "La souveraineté sur les archipels Paracels et Spratleys" par Monique Chemillier-Gendreau.










(Illustrations: C-Forestier-Thivrier et Peinture Bambou Bleu)



Last is the VDO footage by the Japan Coast Guard of its failed attempts to prevent Chinese activists from landing on the Senkaku Islands on Aug. 15, 2012. Video edited and abridged.

http://youtu.be/-MmJkf_NLNs

Fin



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