A propos de la pratique quotidienne du journalisme en Chine et au Japon.
Censure, collusion ou répression.
Deux journalistes japonais, qui couvraient lundi les suites de l'attentat à Kasghar dans le Turkestan Chinois, ont été brutalisés par la police chinoise qui leur a ensuite présenté des excuses. Un fait de plus à mettre au compte des autorités chinoises, dans cette période hystérique précédant les JO de Pékin 2008. Mais les médias japonais auraient tort de se croire innocents et feraient bien de réfléchir sur l'état des lieux de la presse dans leur propre pays, le Japon.
Nous sommes 560 professionnels des médias internationaux qui travaillons a Tokyo et sommes réunis au sein du FCCJ et du FPIJ, le club des correspondants permanents de la presse étrangère au Japon, 560 journalistes dont les 3/4 sont actifs, les autres étant des journalistes issus de la presse japonaise anciennement en poste outre-mer, sur un effectif total de 2.200 membres (entreprises, organisations professionnelles, ambassades, membres individuels, etc). Au FCCJ de Tokyo, nous sommes des journalistes étrangers, accrédités par des journaux, hebdomadaires, télévisions, radios, par des sites Internet, auprès des autorités japonaises compétentes, le ministère japonais des affaires étrangères. Nous accueillons tous les journalistes étrangers de passage au Japon ainsi que la presse japonaise, libre de venir assister a nos événements. (Conférences de presse, débats, films, bibliothèque, restaurants).
Conférence de presse au FCCJ, Tokyo
Certains d'entre nous sont également accrédités en Corée (ROK) et en Chine (RPC). Après les difficultés rencontrées a l'occasion des manifestations Tibétaines, du séisme du Sichuan et des préparatifs des JO de Pékin, nous avons réussi a nous mettre d'accord sur un communiqué de protestation adressé hier lundi a la Chine et au CIO. Pour le consulter en ligne: Cliquer sur le titre de ce post.
Chine et Japon, les mêmes fantômes
La situation des médias en Chine, on le sait, est qu'il n'y a pas de liberté de la presse. De nombreux confrères et consœurs en savent quelque chose. C'est devenu une loterie avec risque de coups de matraques a tous les coins de rues, a tous les carrefours, sur toutes les places... a moins de jouer les thuriféraires officiels des gouvernements et régimes en place.
La situation japonaise, et cela on le sait moins, est que partout au Japon (depuis 1890!) des "clubs de presse", les Kishas clubs, bloquent l'accès et la diffusion des informations au monde extérieur. Ces clubs de presse japonais sont ouverts exclusivement a 5 grand quotidiens et 5 TV nationales et a des agences de presse japonaises et étrangères (gouvernement, administration, grandes entreprises, municipalité, commissariats, partis politiques, la Bourse de Tokyo, la banque du Japon, Palais Impérial etc). Il est interdit a un journaliste japonais ou étranger non membre du Kisha club d'assister a un événement média, une conférence de presse, et de poser une question dans ces "clubs de la censure japonaise". Les free lancer non accrédités, les photographes en particulier, rencontrent des difficultés quasi insurmontables. Les médias japonais se veulent être le fruit d'une élite, et considèrent comme inutile et dangereux d'introduire des "parasites" dans le système médiatique de l'archipel.
Concurrence déloyale et inéquitable
Les agences de presse étrangères (AP, Reuters, Bloomberg, Afp) ont réussi a se mettre d'accord pour s'imposer (grâce aux efforts "physiques" de Bloomberg en particulier) mais se bagarrent entre elles pour faire le commerce de cette information précieuse et surtout des images TV et Photos. Souvent les agences de presse veulent être les seules a "transmettre l'information" et des baronnies se sont donc installées au coeur même de nos médias étrangers travaillant en Asie. Les agences de presse anglo-saxonnes ne se pressent pas au portillon pour démocratiser le système et en faire bénéficier tous les médias étrangers. Elles aussi et les journalistes correspondants accrédités n'ont pas souvent le droit de poser de questions comme c'est le cas aux conférences de presse du Premier Ministre japonais. Souvent des mascarades avec questions préparées ou communiquées a l'avance. Même a la Banque du Japon (c'est un comble quand on sait l'endettement de ce pays, 7 trillions de dollars) comme me l'a fait observé récemment le président du FPIJ, mon collègue Peter Alford de The Australian.
Conséquence: une présentation parfois malhonnête ou risque de partialité, un déficit de démocratie dans un pays le Japon, qui vit dans la hantise de ne jamais devenir une grande puissance, au coeur du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Alors que fait-on au mieux? On s'organise en pool, mais au final les agences de presse étrangères (AP, Reuters, AFP, Bloomberg) font comme les grands medias japonais et conservent leur avantage et leurs marges, et imposent une sorte de monopole sur l'information au monde entier. Nul besoin d'imaginer ce qui peut germer dans l'esprit d'un "Bloomberg boy" trop soucieux de plaire a son PDG ou aux reporters d'AP, souvent la seule agence au telex présent dans les antichambres des juntes asiatiques.
Naturellement nous avons condamné depuis des années cette pratique japonaise de la censure (IFJ, RSF, EU, UN, OCDE, etc) imposée aux journalistes étrangers. Les envoyés spéciaux au G-8 de Toyako ont pu comprendre les conditions extrêmement difficiles de l'exercice de notre profession au Japon. Tant pour déchiffrer les intentions et mystères des communiqués officiels que pour présenter a nos sièges des médias, en France ou ailleurs, la seule et unique interprétation d'un fait aussi banal que le nombre de manifestants présents a un rassemblement bruyant de l'extrême-droite nippone un 15 Août au Yasukuni Jinja. La Représentation de la Commission Européenne au Japon s'est emparé du dossier. Sans réussir a enfoncer cette grande muraille de la censure nippone.
Riposter
Il serait intéressant, voire approprié, qu'un jour, nos collègues français et européens refusent l'accès et le droit de questionner a la presse japonaise (et chinoise) a titre de réciprocité pour voir l'effet que cela ferait dans les états-majors de la puissante presse japonaise. La réciprocité, et, la riposte graduée, inscrite dans la Charte des Nations Unies... Je vis et travaille depuis 20 ans en Asie et je suis persuadé que le Japon et la Chine ouvriraient davantage leurs portes. Car contraints et forcés de pratiquer la même règle du jeu sous peine d'être exclus des conférences de presse. Cela serait en outre le signe d'une solidarité exemplaire.
On le comprend, les journalistes correspondants étrangers rencontrent donc des difficultés invraisemblables, parfois insurmontables d'une part face aux pratiques de censure japonaise, mais d'autre part du fait de leur exclusion d'événements qu'ils pourraient, selon les cas, couvrir en moins "politiquement correct" que les medias locaux. Pire, le mouvement s'étendrait a toute l'Asie, résultat de cette politique de censure bien gérée avec l'accord des grandes agences de presse anglo-saxonnes en particulier. L'AFP, aux moyens de plus en plus réduits, n'occupant dorénavant qu'un strapontin dans ce système très pervers, bien que l'agence ait pour mission de diffuser ses dépêches en anglais a toute l'Asie.
A ce propos, on fait grand jeu depuis Chirac ou Sarkozy (Mitterrand avait boosté RFI) de vanter les TV en diffusion continue, du genre CNN ou BBC World par des ersatz comme France 24. Mais pour ceux et celles qui ont vécu la révolution des médias depuis l'étranger, et dans une Asie en puissance en particulier, il apparaît a beaucoup que le véritable projet stratégique n'aura pas été atteint. La feuille de route gagnante serait de décupler les moyens de l'AFP qui s'imposerait comme la grande agence internationale non anglo-saxonne. Et naturellement d'accompagner et de fournir des moyens convenables aux journalistes des médias accrédités a l'étranger. C'est encore a se demander si les projets médiatiques français, si projets il y a jamais eu, ont été pondus sur un coin de nappe en papier au bistrot du coin en attendant l'espresso. Anecdote authentique que m'a rapporté une personnalité de l'audiovisuel français, un soir, dans l'un de ces bars hallucinants du Tokyo irrémédiablement "lost in quotations..."
REFERENCES et LIVRES:
- Un espace de liberté et de professionnalisme: Le Foreign Press Center in Japan
Logo du FPCJ, Foreign Press Center in Japan
Le seul exemple de dévotion et d'honnêteté professionnelle engagé par le Japon a l'égard de la presse étrangère se trouve au FPCJ, le Foreign Press Center in Japan, qui aide rigoureusement les correspondants et les journalistes du monde entier, sans discrimination. Créé en 1976 au titre de fondation a but non lucratif, le Foreign Press Center a été mis en place par le Keidanren, la centrale patronale nippone, l'association de la presse japonaise, et des donateurs institutionnels et privés. J'ai, et des centaines de collègues, constaté depuis des années son efficacité, son utilité et son respect de l'ethique professionelle. Véritable oasis!
L'URL du site du FPCJ: http://fpcj.jp/
- Rapport 2008 de RSF sur les "Kishas clubs du Japon. J'ai fait inviter Robert Ménard de RSF lors du passage de la flamme Olympique a Nagano. 150 journalistes sont venus assister a cet événement le 25 avril dernier, retransmis par une quinzaine de chaînes de TV.
www.rsf.org/article.php3?id_article=25449
- Le livre "Closing the Shop" de Laurie-Anne Freeman, Princeton University Press, sorti en 2000, branche les projecteurs sur l'absence de neutralité et sur les cas de collusions de la presse japonaise. Il serait intéressant de lire un titre francais sur ce sujet et un travail sérieux sur la presse en Chine et en Inde. Peut-être après les JO 2008 qui sait?
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